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Fabriquer du papier au paradis
Hélène Francoeur
Tout ça a débuté comme une belle histoire, aux îles de la
Madeleine, véritable morceau de paradis en plein golfe du
Saint-Laurent. L’été dernier, j’y avais loué une maison, en
dehors du circuit touristique, face à l’ouest, au grand large,
au vent. Rien d’autre entre moi et l’immensité qu’un bout de
cap que la mer allait bien finir par ronger complètement un
jour. J’y allais pour écrire, dessiner, réfléchir. Aussi pour
imaginer de nouveaux produits que je pourrais mettre sur le
marché en alliant mon métier de relieur à mes autres passions
comme la gravure sur linoléum, l’imprimerie typographique
et... la fabrication de papier. Renouant avec un autre métier
que j’ai pratiqué vers la fin des années soixante-dix alors
que j’habitais la Côte-Nord, j’envisageais d’utiliser des
plantes pour teindre le papier. À l’époque, je teignais la
laine.
De la laine au papier... Pourquoi ne pas expérimenter? C’était
sans compter sur l’envoûtement qu’exercent les îles sur les
humains sensibles à l’environnement naturel. L’écosystème des
milieux insulaires maintient son équilibre à grand peine, on
le sait. Me voilà donc en réflexion: si je cueille des plantes
pour teindre le papier, ou pour en faire des inclusions, il
faudra m’assurer de choisir celles qui ne sont pas protégées
ou en voie de disparition... Je commence à hésiter. Voilà
qu’un matin, je sors au lever du soleil pour ma marche
quotidienne sur la dune de l’ouest, long cordon de sable si
fin et très blond qui s’étend jusqu’à l’Étang-du-Nord. C’était
lendemain de tempête. La mer avait laissé un ruban d’algues
d’un mètre de large tout le long de la ligne de marée haute, à
perte de vue. Des algues de toutes les formes, de toutes les
couleurs, de toutes les textures. Le temps de me pencher pour
en cueillir quelques-unes et je savais déjà que j’abandonnais
les plantes. C’est du papier avec des algues que j’allais
fabriquer! L’histoire était d’autant plus belle que je
n’arrachais rien à la nature, que je cueillais tout simplement
ce que la mer avait à donner.
Je n’avais rien avec moi pour fabriquer le papier, mais je
pouvais à tout le moins ramasser le plus d’algues possible et
faire mes expériences une fois de retour à Québec. Toute
excitée, je reviens à la maison, explique le projet à un
couple d’amis en visite. Nous repartons, les poches pleines de
sacs en plastique. On cueille tout ce qui nous tombe sous la
main, sans faire de tri. Quelques promeneurs, intrigués,
viennent me voir demandant pourquoi je ramasse des algues.
D’habitude, ce sont les coquillages ou les beaux cailloux
qu’on ramasse. Trop absorbée par mon projet, j’explique tout
simplement que c’est pour inclure dans du papier que je
fabrique. On m’écoute en faisant les yeux ronds. Du papier?
Avec des algues? Mais oui. Au lieu de parler de papier, si
j’avais eu plus de présence d’esprit, j’aurais pu répondre
avec un rien d’humour dans les yeux que je ramassais des
algues pour faire des sushi…
De retour à la maison, c’est la corvée de lavage et de tri des
algues. Je ne connais pas encore leur nom, ni en français, ni
en latin. Je les surnomme pour l’instant: laitue de mer,
lasagne de mer, raisins de mer, persil de mer. On verra bien
plus tard pour le côté scientifique de la chose. Je les mets à
sécher, bien à plat entre des feuilles de papier journal.
Elles embaumeront mon auto sur tout le chemin du retour. Je
sais que je reviendrai l’été prochain, avec tout mon
équipement de papetière, c’est déjà décidé. Le temps passe,
sautons quelques mois. Nous voici en janvier 2002. Je profite
de l’expérience de Marie-Claude Chagnon, papetière bien connue
de Québec, pour faire des essais avec chacune des sortes
d’algues rapportées. Nous les avons fait tremper avant de les
couper en petits morceaux pour les inclure dans la pâte.
Certaines ont déteint, rendant déjà leur couleur au moment du
trempage. D’autres se sont mieux comportées. Certaines, de la
variété laitue de mer, ont produit des effets de vitrail.
D’autres encore, comme les cheveux de mer, se sont intégrées
tout en souplesse dans un papier à base d’abaca. Bref, tout
pour me pousser à continuer! Continuons notre voyage dans le
temps. Arrive le mois d’août 2002 tant espéré. Une autre
maison nous attend aux îles, en face de celle louée l’été
dernier. Tout aussi proche de la dune et des algues. Mon auto
est lourde de ce que j’appelle mon « atelier portatif » de
fabrication de papier. À peu près tout ce dont j’aurai besoin,
sauf la presse, qui va cruellement me manquer.
On dit qu’il vente toujours, ou presque, aux îles, et que s’il
ne vente pas, c’est qu’une tempête s’en vient! Je n’attends
que ça, le vent, pour que la dune se couvre d’algues. Dès la
deuxième journée, me voilà sur la plage, à remplir mes sacs
d’algues. Cette fois, après les avoir bien lavées et triées,
je les congèle au lieu de les faire sécher. Je passe une
journée à déchiqueter la fibre d’abaca que j’ai acheté chez
Paperwright, et une bonne partie des filtres à café récupérés
par mes amis que j’ai associés à mon projet au cours des
derniers mois. J’aime bien travailler avec les filtres à café,
composés de coton et d’abaca, le résultat donne un papier
mince, souple et solide. Le temps requis pour le trempage,
suivi d’une autre journée attablée devant mes deux mélangeurs
de cuisine à réduire le tout en pâte et me voilà prête à
commencer.
Mais où m’installer?
Le balcon semble tout indiqué: assez grand, à la bonne
hauteur, orienté au sud, près de la cuisine où sont entreposés
les bacs de trempage. Pour faire sécher le papier, mon chum
Denis installe une corde à linge de fortune entre le réservoir
à mazout de la maison et la remorque de sa moto. Photographe
de son état, et amoureux de tout ce qui touche aux livres, il
sera d’une aide précieuse pendant les deux semaines que je
passerai à fabriquer du papier. Cliquez sur l'image pour une courte visite.
Intrigué par chacune des
étapes, et bien conscient de l’installation précaire dont je
dispose, il y va de suggestion en suggestion pour faciliter
mon travail.
Je retrouve un plaisir proche de ceux de l’enfance, les deux
mains dans l’eau tiède, à brasser la pâte. Il y a quelque
chose de magique dans la fabrication du papier. Semblable à ce
qui se passait quand je faisais de la céramique au tour à
pied. Assister à la naissance d’un objet qui vient de mes
mains, pas d’une machine, m’a toujours touchée. Même quand
c’est raté. Il faut savoir en rire. Comme ça arrive quand le
vent que j’espérais tant pour sa livraison d’algues se met à
souffler en rafales si fortes que coucher la feuille de papier
fraîchement formée devient une opération délicate. Mais je
suis têtue.
En réaménageant la zone de travail, j’arrive à produire tout
de même 70 feuilles de papier de 6 pouces sur 9. L’essorage se
fait au fur et à mesure à l’aide d’une bouteille de vin qui
sera ouverte le soir même, question de souligner cette
première journée de travail! Mais le vent souffle toujours, le
soir tombe et les papiers mis à sécher sur la corde ne sont
pas assez secs pour être rentrés. Mauvais calcul de ma part.
Le vent nous réveillera souvent au cours de la nuit. Misère,
que se passe-t-il sur la corde à linge? À l’aube, en pyjamas,
tant pis pour les voisins, je vais voir. Le tiers des pelons
se sont ouverts, les feuilles de papier sont parties au vent
et constellent le champ de leurs couleurs tendres.
Heureusement, le foin n’a pas encore été coupé et j’ai pu
récupérer toutes les feuilles prises entre les longues herbes.
Ça m’apprendra!
En tout et pour tout,
au cours de ces deux semaines, j’aurai fabriqué 175 feuilles
de papier. Certaines, uniquement à base d’abaca , d’autres de
filtres à café récupérés, d’autres encore avec abaca et
filtres. Toutes contiennent des inclusions d’algues.
L’encollage est de méthyl-cellulose, en dilution dans la pâte.
Environ la moitié des feuilles est demeurée de la couleur
naturelle de la fibre utilisée, l’autre moitié a été teinte
avec de la fibre de coton colorée, quelquefois en jaune,
d’autres fois en rouge, avec toutes les nuances
intermédiaires. Je n’ai pas constaté de différence de résultat
entre l’utilisation d’algues fraîches, d’algues congelées ou
d’algues séchées puis réhydratées. Les algues qui ont à
déteindre, déteignent d’une façon ou d’une autre. Sécher les
algues prend du temps, mais l’entreposage peut se faire à la
température de la pièce. Algues chambrées, quoi! Alors que la
congélation réquisitionne de l’espace dans le congélateur, ce
qui n’est pas bien grave dans mon cas, la portion congélateur
de mon réfrigérateur suffit plus qu’amplement à mes besoins.
Reste à ne pas se tromper et saisir un sac d’algues pensant
que c’est du foie de veau. L’étiquetage est de mise!
Il n’y a pas de
conclusion à cette histoire puisqu’il me reste encore à faire
toutes sortes de choses avec le papier produit. J’envisage des
tests de gravure, d’imprimerie typographique. Je sais déjà que
ces papiers font d’excellentes pages de garde. Des abat-jour
peut-être? Surtout avec l’effet vitrail que certaines algues
procurent…Bref, une histoire à suivre.
Si vous passez par
Québec, faites donc un saut à mon atelier. Appelez
avant, au (418) 640-7303, ou écrivez à: info@hfrancoeur.com
Il me fera plaisir de vous montrer ce que j’ai produit aux
îles.
Bienvenu sur mon site internet www.hfrancoeur.com.
Jetez-y un coup d’œil!
Hélène Francoeur
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